4h20

Il est 2h50 du matin. Il fait chaud mais j’entend une brise secouer les feuilles des arbres du jardin. Je tourne en rond depuis plusieurs heures dans mon lit. Ce lit que je trouve affreusement grand et vide ce soir. Il m’est impossible de trouver le sommeil. Les cernes vont apparaître sous mes yeux car je ne pense pas réussir à dormir cette nuit. Encore. Je décide de me lever et de sortir prendre l’air; j’ai besoin de respirer.

L’air frais de la nuit entre dans mes poumons et j’ai l’étrange impression que cette inspiration est la première prise depuis longtemps. Je m’assois sur les marches de la terrasse et me laisse tomber au sol. Allongé, là, à regarder les étoiles. Elles me paraissent plus brillantes cette nuit. Peut-être même plus belles.

Je n’ai pas repris ma lecture. Pas depuis Elle.

Je crois que c’est Elle que je veux lire. J’ai envie d’observer chacun de ses mouvements. Ses cheveux qui bougent en même temps que ses épaules. Ses doigts qui poussent ses lunettes de soleil sur son nez quand elles tombent à force d’avoir la tête baissée sur son livre. Son sourire à Marguerite, et ses lèvres qui reprennent leurs places aussi vite qu’elles ce sont tendues quand Marguerite tourne le dos. Ce n’est pas de l’hypocrisie envers le monde, c’est de la tristesse, ce sourire que s’en va à une vitesse folle. Je n’ai pas croisé son regard, et ça me hante. Je ne connais pas la couleur de ses yeux. C’est tellement important les yeux. Le miroir de l’âme, les vraies intentions, le coeur, la vie… On voit tout à travers un regard.

Mon frère me rirait au nez si il m’entendait. Il n’a jamais compris comment je pouvais être si romantique, si tendre. Il adore dire que « j’ai des manières de gonzesses ». Il n’y connait rien, coincé dans le schéma que nous a montré notre père toute notre enfance, et même bien après que maman l’ai quitté.

Ce qui me dévore de l’intérieur, c’est cette courbe qui me rend dingue. Je la vois, que mes yeux soient ouverts ou fermés. Cette cambrure, je voudrais tant passer mes doigts dessus, remonter sa colonne vertébrale d’un geste doux de la main, jusqu’à sa nuque.

Il faut que je m’occupe, que j’arrête de laisser mes pensées divaguer. Lire ne servirait à rien, je n’arrive absolument pas à me concentrer, ne serait ce qu’une minute. De toute manière à chaque fois que je vois ce livre, je pense à ses mains à Elle, tenant fermement sa lecture, à ses doigts tourner les pages à une vitesse folle. Je n’avais jamais rencontrée une personne qui lisait aussi vite que moi. Je réalise seulement maintenant qu’Elle n’avait pas non plus les ongles vernis, et tout autant que son visage libre de tout maquillage, cela me plaît. Lorsqu’Elle était au café, ce matin-là, elle avait retirée ses espadrilles et laisser ses pieds nus sous la table. J’avais la sensation qu’Elle désirait être d’avantage présente, comme si elle voulait ancrer ses pieds au sol et ressentir les vibrations de la nature.

Je me relève et décide de retourner me coucher. J’ai pris la décision de retourner au village dès le matin et de prendre ma lecture sous le bras. Je finirai ce livre, et Elle sera là pour me voir le terminer. Avec un peu de chance.

Je me laisse tomber sur le lit, tout en pensant encore à sa jambe droite dépassée de la fente de sa longue robe. Cette peau blanche qui me donnait l’impression de pouvoir supporter le soleil sans brûler. Je crois que c’est ce qu’Elle m’inspirait. Pouvoir tout faire, sans jamais tomber trop bas. Je la savais capable d’une force impressionnante sans même avoir vu la couleur de ses yeux.

Je me tourne, et commence à cligner des yeux. Mes paupières sont lourdes, et j’aperçois l’heure sur le réveil avant de sombrer dans un sommeil profond. Il est 4h20 et je pense toujours à Elle.

Je me réveillerai dans quelques heures en pensant à Elle.

Je crois bien que je pourrais passer le reste de mon existence à penser à Elle.

Elle.

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